samedi 16 juin 2007

2 La création de Chéragas : Les préparatifs


La colonisation fut donc commencée avec ardeur au début de l’année 1842 et réalisa des progrès considérables dans une période de 15 à 18 mois. C’est le comte Guyot, Directeur de l’intérieur dont le nom inspira Guyotville, qui étudia autour d’Alger des zones de villages.
Le premier coup de pioche est donné le 17 mars 1842 à Douera, conçu comme un établissement central du Sahel où les divers services administratifs pourront se réunir et dans lequel les populations agricoles voisines trouveront les ressources et les industries nécessaires. L’Achour naît le 23 avril 1842.
L’Administration y fait faire par des ouvriers civils tous les travaux préparatoires et d’utilité publique. Elle aide les premières familles à s’installer en leur fournissant des matériaux à bâtir et des semences.
L’armée est également mise à contribution : elle prête aux colons des bestiaux de labour et plusieurs bataillons sont employés à défricher les terres.

Chéragas, créé le 22 août 1842, est le troisième village de cette première zone de colonisation du Sahel qui, avec Kouba et Dely Ibrahim, compte donc au total cinq établissements.

Une deuxième zone sera aussitôt lancée avec Baha-Hassen (8 mars 1843), Ouled-Fayet (2 décembre 1842), Saint-Ferdinand et Sainte-Amélie (juin 1843) créés selon le même système, Cressia (5 juillet 1843) où 50 familles seront implantées non loin du camp de Sidi-Sliman afin d’assurer la sécurité des communications entre Birkadem et Douera, et enfin Staoueli, fondé par un acte de concession à des trappistes daté du 11 juillet 1843.

Le choix du lieu : le campement des Scharayah


L’architecte de la province d’Alger que Guyot a chargé d’étudier le terrain remet son rapport le 8 juin 1842. Le Comte Guyot remet le sien à Bugeaud le 20 août.
Entre-temps, Bugeaud est parti le 11 août avec Guyot, accompagnés des colonels Korte et Jussuf et de l’abbé Landemann afin d’étudier sur place, dans le Sahel jusqu'aux environs de Coleah, les localités propres à l’établissement de villages et de dépôts de remonte.
L’emplacement désigné, dans le district de Douera et aux portes d’Alger, est l’ancien quartier de la tribu des Scharayah qui, affaiblie par des émigrations successives dans les premières années de la conquête abandonna entièrement ce territoire en 1840. Pour être plus précis il convient d’ajouter que, si les Scharayah ont bien volontairement quitté l’endroit dans un premier temps, ils n’ont pas été autorisés à s’y réinstaller lorsqu’ils en ont fait la demande en 1842. Mais l’arrêté créant Chéragas vient tempérer l’apparente brutalité de ce refus. Il y est précisé, en effet, que si les 400 hectares de la nouvelle localité sont constitués pour l’essentiel de terres domaniales, les parcelles comprises dans ce même territoire et reconnues comme appartenant à des particuliers, sont expropriées pour cause d’utilité publique et font, à ce titre, l’objet d’indemnités dues aux propriétaires dépossédés.

En visitant le 2 décembre 1846 la ferme de M. Frutier à Beni Messous près de Chéragas, Alexis de Tocqueville note dans ses carnets de voyage qu'"on lui a pris une des parties (de sa ferme) les mieux cultivées et une source précieuse pour établir le village de Chéragas". Or, Antoine Frutier est arrivé en 1832 à Chéragas ou dans le quartier en tenant lieu. Avec seulement trois ouvriers, il a résisté à l’invasion de la MItidja en 1839 puis a loué plus de 1 000 hectares à M. Tir (ou Ter) dont il a entrepris le défrichement progressif précisément avec l’aide des chéragassiens.

L’origine du lieu explique en tout cas les tribulations du nom qui sera donné au nouveau village : Scharayah, Cherrgas et, pour finir, Chéragas.

Le rapport de Guyot précise que "le village de Chéragas formera l’extrême droite de la ligne qui, partant de la mer, au-dessous de Sidi Ferruch, aboutit à l’Oued Kerma et enveloppe dans cette demi-circonférence prolongée par le cours de l’Arach et la Maison carrée l’ancienne banlieue d’Alger".
Selon Guyot "le quartier où ce village va s’établir est désert et il était indispensable de préparer cette première base aux entreprises publiques ou privées qui vont nécessairement se diriger vers cette plaine comprise entre la mer à l’ouest, la route de Douera à Koleah au Sud et la route de Douera à Dely Ibrahim à l’est, et qui est connue sous le nom de plaine de Staoueli".
Une description plus détaillée des limites de la commune sera présentée dans un rapport daté de 1845.
Le lieu est un point culminant qui domine tous les terrains environnants. Indépendamment des considérations stratégiques, il a été choisi en raison de la présence "de sources réputées intarissables d’après les témoignages des maures de la contrée et dont les eaux réunies forment un volume suffisant pour les besoins de l’établissement projeté". Mais un examen plus attentif révèle très vite "qu’il ne faut en aucune manière compter sur ces deux sources pendant la saison des chaleurs. Dans cet état de choses, les eaux nécessaires aux besoins du village ne peuvent être prises ailleurs que dans le ravin qui passe en arrière de la redoute". Elles devront être amenées par une conduite.

Qu’importe ! Le lieu est jugé propice à la vie des hommes. L’implantation peut donc être décidée et les travaux peuvent commencer.

Les travaux préparatoires


Ils sont entrepris par le bataillon du 3e Léger.

Les fortifications


Les plans de l’architecte prévoient l’édification d’un village fortifié susceptible d’accueillir 60 familles. Les fortifications consistent en un mur d’enceinte et en trois tours où pourrait loger toute une brigade de gendarmerie à pied. Le détail des frais est alors évalué à 35 000 francs.
Une seule des trois tours, celle qui est placée près de la porte, sur le point culminant, comporte des étages et sera réservée à un usage exclusivement militaire, comme en témoignent les observations du commandant du génie :
"Les étages des tours ne sont pas assez élevés. Après un petit nombre de coups de fusil tirés des créneaux, les défenseurs seraient étouffés par la fumée… Les créneaux devraient être un peu plus élevés car un attaquant placé sur la contrescarpe et dont la balle entrerait par l’un de ces créneaux aurait plus de chance de blesser un défenseur à la tête que s’il tirait de bas en haut. En outre, les murs dans l’évidement des machicoulis sont un peu faibles pour résister à la balle".
Les deux autres tours n’ont qu’un simple rez-de-chaussée et pourraient aussi recevoir une affectation particulière tout en conservant leur destination spéciale pour le cas d’attaque.

Les lots des colons


Mais les considérations stratégiques ne doivent pas faire oublier que le territoire est avant tout constitué en centre de population agricole.
L’établissement comprend donc 60 lots à bâtir et un moindre nombre de lots à cultiver.
"Les lots à bâtir sont de 6 ares chacun, ce qui donnera aux colons un emplacement suffisant pour une vaste cour ou même pour un petit jardin entre les constructions, circonstance d’autant plus précieuse que le terrain destiné au village est d’une qualité supérieure et qu’il eut été fâcheux que les 8 hectares qu’il contient fussent entièrement perdus pour l’agriculture".
S’il y a moins de lots ruraux que de lots urbains c’est que le comte Guyot juge préférable de n’accueillir que 50 familles au lieu des 60 que peut contenir le village.
Les dix lots inutilisés, représentant 60 hectares, sont mis en réserve "pour des suppléments à divers colons qui mériteraient par leur travail des encouragements et pour le pâturage en commun".
La confiance de Guyot est telle qu’il envisage d’emblée "une nouvelle augmentation de territoire permettant un accroissement de population". L’extension envisagée concerne la plaine de Staoueli mais le maréchal Soult, Président du Conseil et Ministre de la guerre, vient contrarier ce projet en recommandant ce point comme un de ceux qui pourraient être affectés à l’établissement d’un haras.

Les 50 lots à cultiver sont répartis en fonction de la taille de la famille :
- 20 lots de 8 hectares,
- 20 de 6 hectares,
- et 10 de 4 hectares.

Chéragas par la Traverse


Le village ne doit pas être une enclave. La question des voies de communication n’est donc pas négligée.
Une route vient d’être construite de Dely Ibrahim à Staoueli et Sidi Ferruch en passant par Beni Messous. Mais le village ne se trouve pas précisément sur sont trajet. Il faut donc l’y raccorder "par une traverse de 342 mètres qui sera plantée d’arbres formant avenue et donnera au village un aspect riant et pittoresque, condition secondaire mais qu’il est d’une bonne administration de ne point négliger".
On n’a pas fini de se demander si c’est au talent d’administrateur du comte Guyot que le village doit la curieuse appellation qui sera si souvent retenue : Chéragas par la traverse.
Les avis sur ce point sont partagés mais c’est au moins une hypothèse très plausible .
Enfin, il est prévu de construire aux frais de l’administration "une barraque en bois destinée à loger les premières familles" pendant qu’elles s’occuperont à construire leur propre habitation. Cette barraque pourrait servir par la suite à d’autres villages.

L’arrêté créant Chéragas est signé le 22 août 1842 de la main de Bugeaud, Lieutenant Général, Gouverneur Général de l’Algérie.

Il est immédiatement promulgué afin de permettre aux colons, qui ne tarderont pas à arriver de France, de profiter de l’arrière saison pour s’installer et préparer leurs terres.

L’urgence est confirmée par l’envoi dès le 1er septembre de 400 travailleurs militaires "afin d’activer les travaux de construction qui se poursuivent dans une grande activité".

Les travaux préparatoires étant bientôt achevés, il reste en effet à l’Administration à établir ici des hommes et des femmes pour qu’ils s’y enracinent. C’est ce que rappelle encore non sans lyrisme, le comte Guyot :

"C’est ma conviction bien ferme que, indépendamment de la question de sécurité, aucune culture, aucune spéculation privée ne sauraient être profitables et même possibles sur ce point et sur tant d’autres, qu’autant que l’Administration sera parvenue à attirer dans ces solitudes et à y fixer par le lien si puissant de la propriété, une population suffisamment composite et nombreuse".

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